L’histoire de Bugatti et celle du concours d’élégance de Pebble Beach sont intimement liées. La marque française est au crépuscule de sa vie lorsque une poignée d’amateurs décident d’organiser un événement rassemblant des voitures sur la route forestière qui traverse le domaine de Pebble Beach, dans la baie de Carmel, en bordure du Pacifique. En cette journée du 5 novembre 1950 où tout a commencé, l’événement majeur est une compétition sur route ouverte. Le pilote Phil Hill, qui sera sacré champion du monde de Formule 1 en 1961, est le vainqueur de la première épreuve du Pebble Beach Road Races au volant d’une Jaguar XK 120. En marge de l’épreuve routière, un petit contingent de collectionneurs parade avec leurs joyaux où figure déjà une Bugatti 57 Coupé de Ville de 1938 conduite par John Edgar.
En 1953, Hill remet le couvert sur une Ferrari 250 MM carrossée en spider par Vignale puis en 1955 aux commandes d’une barquette 750 Monza.
La manifestation va s’avérer trop dangereuse et les courses se poursuivront à partir de 1957 à quelques kilomètres à vol d’oiseau sur la piste de Laguna Seca qui vient d’être construite. De son côté, la manifestation de Pebble Beach évolue et se met à honorer les vieilles gloires de l’automobile. C’est en 1956 que Bugatti ouvre le score sur les pelouses du golf de Pebble Beach avec la Type 37 Grand Prix du docteur Milton R. Roth. C’est le début d’une belle moisson de Best of Show, la plus importante récompense pour les collectionneurs.
En 1959, c’est au tour du coupé 57C Atalante carrossé par Gangloff en 1939 et appartenant à l’amateur J.B. Nethercutt d’être honoré. A partir de 1964, le collectionneur William Harrah, propriétaire du musée Harrah, ouvre une série de trois Best of Show avec dans l’ordre sa Type 50 coupé de 1932, puis en 1966 son Type 41 Royale Coupé de Ville habillé par Binder puis dix ans plus tard sa 57 SC Atalante de 1937.
La manifestation californienne, qui se tient au coeur du mois d’août, acquiert une dimension internationale en 1985 lorsque les organisateurs réussissent à rassembler les six Bugatti Type 41 Royale produites. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Réunir les six exemplaires de la voiture qui était considérée à l’époque comme la plus chère du monde ne fut pas un long fleuve tranquille. Faire venir les deux voitures exposées au sein de la collection Schlumpf du musée de Mulhouse obligea le gouvernement américain à délivrer une immunité diplomatique. Une première pour des automobiles. Le musée français craignait en effet que les frères Schlumpf, voyant les deux Royale s’envoler pour les États-Unis, tenteraient une démarche juridique pour récupérer les voitures. On se souvient qu’au cours des années 1970 la collection des frères Schlumpf avait été confisquée à la suite de la faillite de leur entreprise de textile et le conseil d’Etat décidait en 1978 de classer la collection à l’inventaire des monuments historiques. Finalement, les deux Royale du musée de Mulhouse purent se joindre à leurs quatre soeurs qui étaient déjà sur le sol américain, non sans multiplier les précautions. C’est ainsi que les deux Bugatti voyagèrent séparément pour limiter les risques. Les vols cargos en provenance de France devaient absolument se ravitailler en carburant au Canada, une situation qui n’était pas couverte par l’immunité diplomatique accordée par les États-Unis, si bien que des vols spéciaux ont dû être aménagés avec Air France reliant directement Paris à Los Angeles. Les frais de transport s’élevèrent à 85 000 euros en 1985, une somme payée par des collectionneurs de voitures, des juges, des fonctionnaires et des amis du concours, tant l’enthousiasme était immense de voir les légendaires modèles Bugatti à Pebble Beach.
Parmi les quatre Royale ayant élu domicile aux États-Unis, deux provenaient de la collection de William F. Harrah à Reno, la cinquième du musée Ford de Dearborn, dans le Michigan. «Cette voiture avait été donnée au musée par un ancien cadre de GM», Charles Chayne, explique M. Bock, le juge principal de Pebble Biche. «Chayne était tombé par hasard sur la voiture chez un ferrailleur de Long Island, où elle avait été laissée après que son bloc moteur avait rendu l’âme lors d’un rude hiver new-yorkais, et il l’avait rachetée pour quelques centaines de dollars.» La sixième appartenait à Briggs Cunningham. Il l’avait transportée sur une simple remorque avec un pick-up Ford F250. Impensable aujourd’hui: elle avait juste été bâchée. La présence des six Royale déplaça les foules et eut un retentissement mondial.
Le gazon où les voitures étaient exposées, qui est aujourd’hui le gazon d’exposition des concept-cars de l’événement, était constamment pris d’assaut par des spectateurs, se souvient M. Bock. Cette année-là, le Best of Show est allé au cabriolet 57 habillé par Saoutchik appartenant à Jack Becronic.
Depuis cet événement resté dans les mémoires, trois propriétaires de Bugatti ont encore remporté le fameux trophée: Ralph Lauren en 1990 avec son coupé 57 SC Atlantic, John Mozart en 1998 avec son roadster Corsica 57 SC et enfin Peter D. Williamson avec son Atlantic en 2003. En 2019, dernière année de l’organisation du concours d’élégance, la pandémie du Covid-19 ayant causé l’annulation de l’épreuve en 2020, les pelouses du golf de Pebble Biche avaient vu la réunion, pour la première fois depuis 1934, des quatre Type 59 Grand Prix.
Depuis la résurrection de la marque française sous pavillon Volkswagen, Pelle Beach fait figure d’écrin pour la présentation en première mondiale des modèles les plus exclusifs de Molsheim.