Certains mots qui font frissonner n’importe quel motard normalement constitué. Prononcez devant lui «Commando» ou «featherbed» et vous verrez son œil s’allumer. Un nom viendra alors à ses lèvres: Norton. La marque britannique a fait rêver des générations de motocyclistes. Norton, née en 1898, s’est illustrée sur les circuits comme sur la route pendant près d’un siècle. La marque a incarné une partie de l’esprit anglais dans le monde entier. Outre-Manche, le deux-roues est une affaire sérieuse: les constructeurs de motos sont considérés comme les aristocrates de l’industrie. Norton a été balayée par l’armada japonaise et aussi victime de l’incurie industrielle de l’Angleterre de l’ère pré-Thatcher. Mais dans la moto, comme en politique, on ne disparaît jamais complètement.
Culte anglais de la moto
À la fin des années 2000, Stuart Garner, un industriel britannique ayant fait fortune dans les feux d’artifice, veut relancer Norton. Il achètera la marque en quelques coups de téléphone en 2008. Existe-t-il un culte de la moto chez les riches sujets de sa Majesté? Lord Alexander Hesketh, après avoir tâté de la Formule 1, avait lancé une marque à son propre nom en 1980, hélas sans grand succès (une centaine de motos furent seulement produites). Mais la démarche de Stuart Garner évoque surtout celle de John Stuart Bloor, l’homme qui a relancé Triumph au début des années 1990, autre grand label disparu dix ans plus tôt. Comme Stuart Garner, cet industriel britannique, fils de mineur, est un autodidacte. Il a fait fortune dans l’immobilier pavillonnaire, la location de matériel de travaux publics, ainsi que dans l’agroalimentaire et la distribution automobile. Un quart de siècle plus tard, John Stuart Bloor a réussi son pari et encore augmenté sa fortune avec Triumph.
Look d’hier, fabrication d’aujourd’hui
Reste à produire les motos. Elles le seront au centre de la Grande-Bretagne, dans le château de Donington, près du circuit du même nom, où Stuart Garner va également fonder une école de mécanique. Elles apparaissent en concession à partir de 2010. En France, leur importateur est Paradise Motorcycles, une enseigne située en haut de l’avenue de la Grande Armée, et spécialisée dans les belles mécaniques depuis 1994. Les Norton actuelles s’inscrivent bien dans la vague néorétro qui déferle sur la moto depuis quelques années. Leur look évoque indéniablement leurs aînées, mais les mécaniques et les composants sont modernes. Nous avons essayé la Dominator, le modèle le plus extrême. Avec ses guidons bracelets et sa selle monoplace, elle évoque furieusement la Norton 850 Commando de Jean Manchzeck, l’un des personnages du Joe Bar Team, l’incontournable BD que tout motard doit avoir lu.
Rayon de braquage minimaliste
L’engin est d’un gabarit modeste, ce qui, conjugué à une masse contenue de 182 kg (à sec), augure une bonne capacité d’accélération et de reprise, ainsi que d’une agréable agilité. Mais il faut d’abord s’installer sur la moto. En fort appui sur les guidons bracelets, le cou cassé parce que la route est devant vous et non au dessous, posé sur une selle dure comme du bois, les motards de grande taille ne seront pas à la fête. À cela s’ajoute un rayon de braquage minimaliste, car les extrémités de l’étroit guidon ne doivent pas s’encastrer dans le réservoir. Bref, bienvenue dans les années 1970. Ce n’est pas grave, la Norton Dominator n’est pas l’unique machine de ceux qui en font l’acquisition. Pour rouler au quotidien, on peut toujours demander l’installation d’un grand guidon. «Environ un tiers des acquéreurs nous le demande», précise Loïc Daligault, le directeur de Paradise Motorcycles. Côte fiabilité, l’importateur admet avoir eu à effectuer quelques réglages au début, mais pas de gros problèmes. Sur environ 200 machines vendues en France, il n’y aurait eu qu’une casse moteur. Il faut respecter les temps de chauffe. Le groupe de la Dominator doit être mis en température progressivement pour qu’il fonctionne longtemps de façon optimale.
La vibration succède à l’accélération
Cette très actuelle Norton Dominator est un bel engin à remonter dans le temps. Mais attention, encore une fois, avec toutes les commodités du monde moderne de la moto. Nous n’avons pas osé pousser trop le moteur d’une machine qui n’avait que peu de kilomètres. Mais il y a un moment, après l’ouverture des gaz, ou la vibration succède à l’accélération. «Cela s’estompe après le rodage», prévient Loïc Daligault. Mais une Norton, cela doit tout de même vibrer. Question de tempérament. À partir de 100 km/h, le vent relatif pousse le torse et la pression sur les poignets diminue. Dans les virages, la petite machine fait merveille. Et sa sonorité se révèle digne de ses glorieux ancêtres.
À la question: «Qu’est-ce qui différencie l’homme de l’enfant?», il est convenu de répondre: «Le prix des jouets». La Norton Dominator est un beau jouet. Elle coûte 30 049 € dans sa version standard, celle avec laquelle nous avons roulé, et 38 049 € dans sa version SS. Sans doute beaucoup trop cher pour les grincheux qui ne la verront que comme un gros vélo avec un moteur dans le cadre. Les autres, outre un engin unique, rêveront de ce bel objet, cousin dans l’imaginaire masculin des montres et des voitures de luxe. Avec quelques sensations en plus.
LA FICHE TECHNIQUE
Moteur: bicylindre, 4 temps, 961 cm3, refroidissement par air et huile
Puissance et couple: 80 ch à 6 500 tr/mn et 90 Nm à 5 200 tr/mn
Transmission: chaîne et boîte à 5 rapports
Poids: 182 kg à sec.
Capacité du réservoir: 17 litres
Vitesse: 220 km/h
Prix: 30 349 €
