La parution du décret mi-février concernant l’arrêt du bonus de 5 000 euros pour les voitures particulières (VP) électriques pour les entreprises a surpris beaucoup de monde *. Surtout les professionnels. Cette décision a été brutale mais compréhensible. Face à l’engouement suscité par le leasing social, qui s’est transformé en 50 000 dossiers en seulement quelques semaines, Bercy a décidé de fermer le robinet afin de ne pas faire gonfler l’enveloppe de 1,5 milliard d’euros prévue cette année pour accompagner les automobilistes vers des mobilités moins carbonées. Cette décision a-t-elle eu une incidence auprès des flottes? Pour l’instant, non.
Si l’on regarde les chiffres, sur les deux premiers mois de l’année 2024, les électriques VP sur le marché des flottes ont le vent en poupe. Elles ont battu – de quelques dizaines d’exemplaires – les diesels. Au sein des entreprises, il s’est immatriculé 10 757 électriques contre 10 713 modèles diesel (source Arval Mobility Observatory). Une différence en volume certes minime, mais qui cache des performances diamétralement opposées: les électriques ont progressé de 37 % alors que les immatriculations de véhicules à motorisation diesel ont chuté de quasiment autant (- 32 %). Et du côté de l’essence, les immatriculations ont connu une légère contraction de 4 % à 23 328 unités. Ce tassement est principalement lié à une réduction de l’offre, compensé par l’hybridation, qui, de fait, est en pleine forme. La part des hybrides non rechargeables progresse en effet de 46 % pour atteindre 22 236 unités, tandis que les hybrides rechargeables gagnent 24 %, ce qui représente 12 498 voitures. «Les entreprises ne reviendront pas en arrière, l’électrification des parcs est en marche. Il s’agit d’une tendance lourde qui répond à la fois à des politiques RSE très fortes et à une demande de la société en général. Mais elle pourrait paradoxalement ralentir», pronostique Régis Masera, directeur de l’Arval Mobility Observatory et du Consulting d’Arval France.
Réaction des entreprises
Car les chiffres cachent une réalité plus complexe. Les immatriculations enregistrées correspondent en fait aux livraisons des véhicules commandés depuis les six derniers mois et qui bénéficiaient donc encore d’une fiscalité avantageuse. «Avec l’arrêt du bonus, nous ne sommes pas à l’abri d’un revirement. Comment vont réagir les entreprises, et elles sont nombreuses, qui hésitaient encore à passer à l’électrique», glisse Louis Daubin, spécialiste des flottes d’entreprise. «La principale difficulté pour un chef d’entreprise ou pour un responsable de parc est d’avoir de la visibilité, reconnaît Régis Masera. Malheureusement, le temps des politiques est totalement décorrélé de celui des entreprises et de la vie économique. Et un grand nombre d’entre elles estime avoir ni le temps ni les outils pour réaliser leur transition écologique.» Même si cette transition est désormais entrée dans les mœurs.
Une étude réalisée par Viavoice pour le compte de l’Arval Mobility Observatory éditée fin 2022, la dernière en date, le montrait déjà. «L’entreprise doit être à l’avenir un acteur de mobilité pour ses salariés», peut-on lire dans cette étude. Mais cette mobilité ne passe pas automatiquement par la voiture électrique. «Les aspirations [des entreprises] sont beaucoup plus diverses et contrastées. Les responsables de flottes estiment que l’avenir des mobilités se fera par les transports (46 %), le covoiturage (44 %), la voiture électrique (40 %), la voiture thermique (28 %), les véhicules partagés (22 %) et les cartes de mobilités (15 %), tandis que les salariés ajoutent la marche à pied (20 %)», révèle l’étude. Et si la voiture électrique est sollicitée, sa perception reste assez mitigée. La raison? «Son coût et son inaccessibilité», indique le document. D’ailleurs, 79 % des responsables des flottes souhaitent «surtout convertir leur parc en véhicules hybrides» alors qu’ils ne sont que 66 % pour la conversion en 100 % électrique.
Allongement des contrats
Ces interrogations ne risquent pas de s’atténuer avec la suppression du bonus. Cette nouvelle évolution de la fiscalité pourrait avoir comme effet de ralentir le renouvellement du parc. D’autant plus que la période de détention a déjà augmenté les semestres précédents. «La détention des contrats est passée en moyenne de 36 mois à 48 mois quelles que soient les énergies, constate Guillaume Maureau, directeur général adjoint Commerce chez ALD Automotive-LeasePlan. Aujourd’hui, un grand nombre d’acteurs, notamment les petites entreprises sont dans l’attente.» Un comportement que l’on retrouve d’ailleurs chez les particuliers. «Bien que nous ne soyons pas revenus au niveau de 2019 – il nous manque pour cela 75 000 véhicules -, le marché du BtoB a été très dynamique en 2023, plus que celui des particuliers, observe Régis Masera. Et il l’est d’ailleurs toujours sur les premiers mois de 2024. Il serait dommage que la fiscalité le freine, mais paradoxalement, le poids de l’ex-TVS pourrait inciter les entreprises à renouveler plus rapidement leur parc.» Mais vers quel type de motorisation? En Allemagne, l’arrêt brutal du bonus a eu pour effet de diviser par deux les ventes de voitures électriques du jour au lendemain. «Cette baisse de la fiscalité impacte la compétitivité de l’électrique, d’autant plus que les remises des constructeurs sont encore trop faibles par rapport à d’autres énergies», reconnaît Guillaume Maureau. «L’écart de prix facial entre un modèle électrique et un modèle thermique identique reste trop important et dissuasif. Les TCO restent purement «idéologiques» et sont souvent en opposition selon que l’on soit pour ou contre la voiture électrique ; elles ne bénéficient pas de valeurs retenues crédibles pour leur composition», souligne Louis Daubin. Conséquence, les modèles thermiques et leurs déclinaisons électrifiées pourraient revenir sur le devant de la scène.
La deuxième interrogation des acteurs des flottes concerne la pénalisation de la loi LOM. Pour l’instant, les entreprises qui n’ont pas encore verdi leur parc n’encourent pas de sanctions. Mais Damien Adam, député Renaissance de Seine-Maritime, a récemment fait parler de lui en réclamant non seulement une augmentation plus rapide de la part des véhicules à faibles émissions dans les parcs, mais également des amendes pour les entreprises qui ne joueraient pas le jeu. Une stratégie qui selon Régis Masera, pourrait faire tout le contraire de l’ambition souhaitée.
Crédit mobilité
Pour pallier ces changements de fiscalité, ALD Automotive-LeasPlan veut soutenir les entreprises avec son offre de location moyenne durée, «de un à dix-huit mois», indique Guillaume Maureau. «Cela permet de les accompagner dans la transition énergétique, de voir si le passage à l’électrique correspond à leurs besoins», présente-t-il. Le loueur dispose d’un parc à cet usage de 17 000 véhicules dont 25 % d’électrique.
Autre point, la mobilité des entreprises ne passera plus forcément que par l’automobile. Les loueurs travaillent en effet sur d’autres formules. «Les cartes mobilités (ou les forfaits mobilités, NDLR), sont de plus en plus fédératrices, indique l’étude d’Arval. Elles sont plébiscitées pour des raisons économiques (55 %) et pour la réduction de la pollution (42 %). Le crédit mobilité est une alternative aux véhicules de fonction», explique Guillaume Maureau. Dans certaines entreprises, cet outil permet aux collaborateurs, pour un montant mensuel équivalent à celui d’une voiture, de payer ses abonnements de transports en commun, de vélo à assistance électrique (VAE) ou de scooter, ses billets de train ou pour un usage plus ponctuel, une voiture de location. Une offre certes encore très minoritaire, mais qui pourrait se développer. À titre d’exemple, en Allemagne, 17 % des salariés ont un vélo de fonction contre seulement 1,7 % en France. «À terme, ces crédits mobilités pourraient séduire 5 à 10 % des collaborateurs qui seraient éligibles à une voiture de fonction», indique Guillaume Maureau. En revanche, l’étude d’Arval révèle une forte disparité entre les salariés au niveau national et ceux travaillant dans des entreprises parisiennes. Les premiers sont 12 % à estimer que le VAE est un type de déplacement d’avenir contre 19 % pour les seconds. Et force est de constater que la voiture reste le sujet prioritaire pour les entreprises. D’ailleurs, face aux évolutions fréquentes de la fiscalité, Régis Masera tient à rappeler une réalité économique. «L’entreprise est un des rares acteurs qui a la possibilité financière d’acheter des voitures à plus de 40 000 euros, insiste-t-il. Cette possibilité crée un écosystème vertueux qui profite ensuite aux particuliers.» Trop fiscaliser l’entreprise sur ses moyens de mobilité risquerait de déstabiliser le marché automobile et par effet ricochet l’industrie.
* Le bonus de 3 000 euros pour les véhicules utilitaires est toujours d’actualité.