Courses d’endurance, performances de vitesse, tournages à haut risque, amitiés avec les meilleurs pilotes… Chaque jour, «Le Figaro» vous raconte la passion dévorante de l’acteur hollywoodien pour les motos et les automobiles sportives de son époque.
Au cours du mois d’août 1971, l’Amérique se rue chez les marchands de journaux. Au sommet de sa gloire, l’acteur Steve McQueen s’exhibe en couverture du magazine Sports Illustrated pour lequel il collabore. Il est torse nu, effectuant une roue arrière au guidon de sa moto de cross, une HusqvarnaH 400. Faut-il y voir une nouvelle provocation d’un écorché vif ou le énième acte d’un homme qui a cherché toute sa vie à défier la vitesse et la mort? À moins que ce soit la parfaite illustration du talent que tout le monde lui reconnaît. Qu’il soit au volant d’une voiture de course ou au guidon d’une moto, Steve McQueen maîtrise la situation. On pourrait croire qu’il a ça dans le sang. Ce n’est pas faux. Toute sa vie est tournée autour de la moto et de la voiture. Ce n’est pas un caprice mais une véritable passion qu’il vivait à 100 à l’heure. Lorsqu’il le peut, c’est-à-dire aussi souvent que possible, il intervient sur le scénario des films dans lesquels il joue pour glisser des scènes de course-poursuite à deux ou quatre roues. Dans sa filmographie, les exemples sont nombreux.
Sa passion mécanique commence par la moto, le symbole par excellence de la liberté. Une liberté qui compte plus que tout pour l’acteur. Les quelques dollars d’une bourse qu’il a obtenue pour suivre les cours d’art dramatique à l’école Playhouse de Sanford Meisner ne suffisant pas à subvenir à son quotidien, Steve McQueen arrondit ses fins de mois en gagnant quelques billets verts dans des courses de moto, sur le circuit de Long Island. Rien ne lui plaît plus. Il est dans son élément. Plus tard, il racontera qu’il aurait pu devenir pilote professionnel. «Je gagnais beaucoup de courses et je me faisais deux cents dollars par week-end», expliquait-il. Bud Ekins, qui l’a initié au deux-roues, confirmera. «En tout-terrain, Steve avait un vrai talent.» Les deux hommes deviennent inséparables. En plus d’être un pilote expérimenté de tout-terrain, Ekins est distributeur des motos Triumph en Californie.
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Un jour, McQueen débarque dans la boutique. Il vient de racheter à l’acteur Dick Powell une Triumph Bonneville 1959 et veut s’assurer que la garantie soit toujours valable. C’est ainsi que naît une amitié entre ces deux passionnés de bécanes. Bud initie l’acteur aux rudiments du pilotage. Les deux motards écument les pistes du désert de Mojave, au sud de la Californie, et même en dehors des frontières des États-Unis. Cela donne une idée de ses inclinations. «C’est sur les circuits que je suis le plus heureux, seul sur une moto à fond la caisse. C’est là que je veux être, je préfère faire ça plutôt que de jouer dans les films», a-t-il coutume de raconter. À cette époque, le meilleur moyen d’approcher Steve McQueen est de se rendre dans le désert californien de tous les dangers. Entre descentes vertigineuses, sables mouvants et rochers. Tous les dimanches, il tente de vaincre les embûches d’un parcours d’enduro vraiment dangereux.
«Il était si difficile de l’obliger à ralentir»
Pas du genre à faire semblant, McQueen réalise un coup de maître en 1962. Pour le tournage de La Grande Évasion, l’acteur, qui n’a décidément pas froid aux yeux, suggère à John Sturges, le réalisateur du film, la scène finale. Autour de l’histoire de l’évasion d’un groupe de soldats alliés qui s’échappent d’un camp de prisonniers nazi, McQueen, alias le capitaine Virgil Hits, réussit à semer ses geôliers allemands en sautant par-dessus un réseau de barbelés. Si cette cascade, dans toutes les mémoires, est réalisée par son ami Bud qu’il a imposé à la production, aucune des autres scènes de la course-poursuite à moto ne lui échappe. À son retour aux États-Unis, Bud Ekins expliquera que McQueen roulait comme s’il était en course. «Il était si difficile de l’obliger à ralentir que finalement, il a joué tous les rôles, le sien et ceux des Allemands.»
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Dans la foulée de La Grande Évasion, Steve McQueen gagne sa place à l’International Six Days Trial (ISDT) disputé du 7 au 12 septembre 1964 à Erfurt, en Allemagne de l’Est. Aussi incroyable que cela puisse paraître, entre deux tournages, l’acteur est enrôlé dans l’équipe américaine en compagnie de sacrées pointures: Bud bien évidemment mais également son frère Dave, Cliff Coleman et Johnny Steen en pilote de réserve. Avoir pu envoyer en pleine guerre froide, de l’autre côté du rideau de fer, une bande d’Américains participer à cette course de haut niveau – tous les cadors de la discipline sont présents – tenait de la gageure. La preuve que le sport peut surmonter les tensions politiques et abattre les barrières. «Ça a été l’un des plus grands moments de ma vie. Je tenais le drapeau américain. J’avais les Russes d’un côté, les Allemands de l’autre. J’étais fier, très fier», avouera McQueen.
Bien qu’ils soient plus habitués à rouler dans le désert que sur des chemins forestiers boueux, les Américains démontrent leur capacité d’adaptation. Certes, Steve étale son sens de la combativité mais il chute à deux reprises ; la seconde sera fatale. En voulant éviter une femme qui traverse la piste au moment où il surgit, il tombe, abîmant sérieusement sa Triumph TR6 SC. La fourche est tordue. L’abandon est inévitable. Son ami Bud n’est pas plus chanceux. Il se casse la cheville gauche en tapant un muret. L’équipe sauve tout de même la médaille d’or grâce à Dave Ekins et Cliff Coleman.
L’acteur américain ne veut pas rester sur un échec. Sa Triumph est préparée pour l’ISDT 1965 qui se court à l’île de Man. Au dernier moment, il est obligé de renoncer pour cause d’engagement au cinéma. C’est promis, on va le revoir. Si l’activité cinématographique l’éloigne un temps des courses de moto, il comble ce manque en bricolant ses machines et en se rendant sur les lieux tournages au guidon de certaines d’entre elles. C’est ainsi qu’entre deux scènes de La Canonnière du Yang-Tse, il tue le temps libre en s’évadant sur une Suzuki carénée en échappement libre, identique à celle de compétition. Sans casque bien sûr!
Ses prouesses à moto, McQueen en livre encore un aperçu dans One Any Sunday (ou Challenge One), un documentaire d’une heure et demie sur l’univers de la moto aux États-Unis qu’il a partiellement financé via sa société de production. À la fin, on le voit, heureux comme un gosse, en compagnie de deux amis multiplier les sauts et les glissades sur des dunes de sable. En cow-boy moderne, il dompte parfaitement les ruades de sa machine.
Triumph TR6 Trophy: l’inspiratrice des trails modernes
À la fin des années cinquante, les marques japonaises n’ayant pas encore investi le marché, Triumph est l’un des rares constructeurs à proposer des machines de sport vraiment performantes. Aux États-Unis, ce gros trail fait fureur dans les longues courses disputées notamment dans le désert californien. Steve McQueen en est tombé amoureux après avoir acheté un modèle Bonneville. La marque anglaise en décline une version TR6 avec phare chromé non caréné et petit garde-boue avant. C’est ce modèle que Steve McQueen et son ami pilote Bud Ekins, sa doublure pour franchir le mur de barbelés, utilisent dans La Grande Évasion.
Afin qu’elle ressemble à une moto BMW que la production avait fini par écarter en raison de son inaptitude à pouvoir réaliser les cascades, la Triumph avait été repeinte en kaki. Un porte-bagages et une vieille selle finissaient de la déguiser en machine bavaroise. McQueen et Ekins n’ont pas eu à le regretter. Avec son châssis et son bicylindre 650 cm3 de 42 chevaux, la TR6 s’est avérée l’engin idéal pour relever les défis imposés par le scénario du film. Jamais rassasié, McQueen partait souvent battre la campagne allemande au guidon de la TR6 très spéciale. Un sacré coup de pub pour Triumph.