Courses d’endurance, performances de vitesse, tournages à haut risque, amitiés avec les meilleurs pilotes… Chaque jour, Le Figaro vous raconte la passion dévorante de l’acteur hollywoodien pour les motos et les automobiles sportives de son époque.
On commence par entendre le cri des mouettes qui survolent une dune hérissée d’herbes longues. Le ciel est dégagé, jaune presque orangé. Le calme avant la tempête. Soudain, le spectateur tressaute à l’écoute du rugissement d’un moteur. Surgit alors un buggy rouge orangé comme un cheval qui saute une haie, les naseaux fumants.
Persol fixées sur le nez, chemise orange, Steve McQueen pilote son destrier mécanique comme s’il était en plein rodéo. À ses côtés, les cheveux recouverts d’un foulard bleu à pois blancs, la belle Faye Dunaway s’accroche comme elle peut. Tandis que Thomas Crown s’amuse à sillonner les dunes à grande vitesse, passant volontairement dans une flaque d’eau de mer, ou effectuant un dérapage contrôlé, sans oublier de provoquer l’envol d’une myriade d’oiseaux, sa compagne s’est blottie contre lui, comme si elle participait à l’attraction du train fantôme à la fête foraine.
Le baiser le plus long
Derrière ses lunettes de soleil, le personnage de Vicki Anderson sourit, s’affole, ou rit parfois à gorge déployée des folles prouesses de cette balade en totale liberté qui se termine sur le rivage, le pare-brise éclaboussé d’écume, alors que s’élève la musique ultraromantique de Michel Legrand.
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Cette séquence mythique de L’Affaire Thomas Crown, polar stylé signé Norman Jewison sorti en 1968, est devenue l’une des plus célèbres du film. Même si à l’époque, les spectateurs retiennent plutôt la séquence du baiser après la partie d’échecs, vendue par la production comme étant «le plus long baiser de l’histoire du cinéma».
«Je crois que la spectaculaire balade en buggy a gagné ses galons de “séquence culte” dans les années 1990-2000, analyse Frédéric Brun, auteur de l’ouvrage Steve McQueen. Une passion pour la vitesse (1). C’est la période où naît un fort mouvement de reconnaissance pour Steve McQueen. Les amateurs redécouvrent le mode de vie très libre de l’acteur de La Grande Évasion. Surtout, ils perçoivent une manière de filmer qui s’émancipe déjà des standards du cinéma hollywoodien de l’âge d’or. C’est le Nouvel Hollywood avant la lettre…»
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À l’origine, cette scène n’aurait sans doute pas dû apparaître dans L’Affaire Thomas Crown. Dans le premier script du film figurait plutôt une séquence de Jeep sur la plage entre McQueen et Faye Dunaway. «Il est tout à fait possible que l’idée de remplacer la Jeep par le buggy vienne de Steve McQueen lui-même», estime Frédéric Brun, en cinéphile averti.
Quoi qu’il en soit, le «dune buggy» est à cette époque très en vogue dans l’Amérique des années 1960. Son grand inventeur s’appelle Bruce Meyers. Vétéran de la marine durant la Seconde Guerre mondiale, artiste et surfeur, il conçoit d’abord ce véhicule pour son propre usage. Son premier buggy, baptisé «Old Red», sort de son garage en 1964. «À l’époque, le Quad n’existe pas encore, souligne Frédéric Brun. Ainsi, le buggy de Meyers Manx connaît immédiatement un grand succès chez les surfeurs et les hippies californiens.»
La conception
En 1964, l’Amérique vit au rythme d’une liberté inconditionnelle. On prépare les premiers pas de l’homme sur la Lune. La musique rock, pop, psychédélique s’invente. L’écologie se met en place, l’émancipation de la femme aussi. La sexualité se libère. Il n’existe pas encore de normes précises, ni de restrictions établies. Par exemple, le buggy n’a pas de ceinture de sécurité. D’ailleurs, Faye Dunaway l’a assez répété dans les interviews, elle était «terrorisée» lors du tournage de la séquence.
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Steve McQueen participe à la conception du buggy en faisant appel à un préparateur automobile de sa connaissance, Con-Ferr. Sur le châssis Volkswagen, il fait greffer un moteur de Chevrolet Corvair. Il fait aussi monter d’impressionnantes roues de voitures de course. «Bref! Son buggy d’une puissance de 230 chevaux est une vraie bombe, sourit Brun, amateur de belles cylindrées. D’où le bruit impressionnant de l’engin dans le film. Des vocalises mécaniques qui ne devaient pas lui déplaire…»
Le tournage de ces scènes frénétiques sur les dunes de Cape Cod a lieu en continu, bord à bord, sur une ou deux journées. McQueen conduit tout le temps. Pas question pour l’acteur de se faire doubler par un cascadeur ni de recourir à des effets spéciaux. Tous les décors sont naturels. C’est l’interprète de Thomas Crown qui choisit le parcours dans les dunes. Il a placé une caméra à l’avant du véhicule. Tous les bonds qu’on voit à l’écran ont été réalisés par lui. Les autres caméras de Norman Jewison ne font que suivre le mouvement.
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Dans le film, cette scène est finalement très importante. Crown, homme d’affaires milliardaire, qui cherche à tester ses propres limites en commettant des hold-up aussi gratuits que sophistiqués, a été pris en chasse par Faye Dunaway, une enquêtrice d’assurance qui cherche à le coincer à tout prix. Ces deux-là jouent au jeu du chat et de la souris. La séduction s’en mêle. Ils tombent fous amoureux l’un de l’autre. Voilà le moteur secret du film. Dans la séquence du buggy sur les dunes, l’héroïne, qui lui a tenu la dragée haute pendant tout le film, finit par baisser sa garde. Elle est conquise par cet homme qui n’a pas froid aux yeux, qui ne se sent vivant que lorsqu’il est en prise directe avec le danger. À la fin du film, McQueen, qui s’était amusé comme un petit fou, racheta le buggy.
Cinquante-cinq ans plus tard, la puissance de ces quelques minutes «boostées» à l’adrénaline et au kérosène continue de fasciner les cinéphiles. «Ce qui pourrait faire débat aujourd’hui, reconnaît Frédéric Brun, ce n’est pas tant le côté phallocrate du héros, car les deux personnages ont la même force de caractère. Non, c’est plutôt l’arrogante liberté de cette scène. L’usage d’un véhicule tel que le buggy au cœur d’un milieu naturel préservé pourrait faire monter la tension des protecteurs de l’environnement. Sans compter l’absence totale de protection et de sécurité sur le tournage, qui ferait cauchemarder n’importe quel assureur de cinéma…»
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Quant au buggy du film, il a refait surface le 5 mars 2020 lors d’une vente aux enchères Bonhams aux États-Unis. L’engin a été adjugé à 456.000 dollars. Entièrement restaurée, cette voiture de collection fonctionne comme au premier jour, et a même participé l’an dernier au concours d’élégance automobile Richard Mille qui s’est déroulé au château de Chantilly.
Finalement ce buggy qui virevolte dans les sables californiens est devenu le symbole nostalgique d’une époque insouciante, pétrie d’inconscience et d’audace. Une période révolue mais pleine d’élégance et de panache…
Le manx de con-ferr Meyers: une baignoire sur roues
Tout est permis, au début des années 1960, sur la côte Ouest des États-Unis. Même de transformer une brave Volkswagen Coccinelle pour franchir les dunes menant à la plage. Bruce Meyers est l’un des pionniers de ce nouveau genre automobile. Déjà réputé pour maîtriser la fabrication de planches de surf en fibre de verre, il recourt à ce matériau pour donner naissance, en 1964, au Manx, un drôle d’engin qui ne ressemble à rien qui existât. Sur un châssis-coque moulé comme une coque de bateau et faisant penser à une baignoire se greffent les trains roulants et le moteur de la «Cox».
Les ailes sont coupées ; les phares sont rapportés sur le capot ; l’équipement est réduit à sa plus simple expression et sur l’arceau se fixe une capote en toile sommaire. Baptisé buggy en référence au surnom «bug» (punaise) donné à la Cox, l’engin fait fureur. Ultraléger, il passe partout. La formule ne cesse d’être améliorée. Les buggys les plus performants reçoivent un moteur Porsche. C’est ce que voulait McQueen pour le Manx de L’Affaire Thomas Crown. Sa préparation est finalement confiée à la société Con-Ferr, créée en 1961 par Frank Ferro et Pete Condos, l’homme à l’origine du terme «off-road». Un flat-six de 230 ch de la Chevrolet Corvair, qui dépasse allégrement de la carrosserie, est installé à l’arrière. En Europe aussi, les buggys connaissent leur quart d’heure de gloire, au début des années 1970, mais le durcissement des normes de sécurité finit par avoir leur peau.
(1) «Steve McQueen. Une passion pour la vitesse», de Frédéric Brun. 192 p., YB Éditions (2011). 19,33 €.