Vue du bord de la piste, l’évolution des monoplaces électriques du championnat du monde de Formula E (FE) laisse un sentiment mitigé. La faute principalement à l’absence de sonorité. Le crissement des pneumatiques dans les virages et le bruit de succion du moteur électrique ne remplaceront jamais le frisson procuré par le crépitement et les borborygmes de l’échappement libre de voitures propulsées par un moteur à propulsion interne. Mais il faut vivre avec son temps. Au volant de ces monoplaces d’un nouveau genre, c’est une tout autre musique qui se joue.
Comme nous avons pu nous rendre compte sur la piste italienne de Varano, situé à proximité de l’usine Dallara en charge de leur production, une Formula E se mérite. Depuis la première génération essayée sur le circuit urbain de Monaco en 2015, se glisser dans l’étroit cockpit réclame plus que jamais une souplesse de gymnaste. La procédure est identique à celle qui prévalait déjà avec la seconde génération (Gen2) pilotée à Lédenon en 2019.
Assis à même le plancher
Un marchepied aide à enjamber le flanc droit pour poser un pied sur le ponton à un endroit bien précis pour ne pas risquer d’enfoncer la coque en carbone. On hisse alors tout son corps au-dessus du halo, une sorte d’arceau inaugurée par la Formule 1 et constituant une cellule de survie pour le pilote, en prenant appui sur l’arceau central. Debout dans le cockpit, le pilote en herbe n’a plus qu’à laisser descendre sa carcasse jambes dépliées en agrippant le rebord de la coque avec les mains. Reste à vérifier la position de conduite en installant le volant. On le sait, faute d’un baquet moulé à ses mensurations, la situation n’est jamais idéale. Mais là, impossible de boucler dix tours dans ces conditions. Il faut ressortir de la DS E-Tense FE23 (Gen3). Cela fait de l’exercice. Le temps de remplacer le baquet par de la mousse et nous voici de retour dans la voiture. On se retrouve allongé sur le plancher et, comme dans une cuvette, les pieds plus hauts que le postérieur. L’espace est compté et chaque jambe séparée par une cloison. L’essentiel est que les pieds touchent parfaitement les deux pédales. Rituel du pilotage d’une monoplace : le freinage s’effectue non seulement avec le pied gauche mais il doit être dégressif, c’est-à-dire qu’après avoir littéralement tapé dans la pédale en appliquant une pression de l’ordre de 70 kilos, on réduit progressivement la puissance. Plus facile à dire qu’à exécuter. Harnais sanglé, le corps est tellement comprimé que l’on a l’impression d’être en apnée.
De l’énergie à trouver à chaque tour
Avant de prendre la piste,un ingénieur DS nous explique les procédures à respecter et le fonctionnement du volant qui ne ressemble en rien à celui d’une voiture de série. Dépourvu de jante, cet accessoire rectangulaire dispose de deux encoches à chaque extrémité pour l’empoigner avec le pouce. Constellé de boutons et de molettes rotatives, il accueille en son centre un écran d’informations. Au sommet, des diodes lumineuses indiquent l’état du système électrique. Cela fait beaucoup de choses à mémoriser. On touche là l’un des aspects méconnus et pourtant essentiels du championnat de Formula E dont la dixième saison commence à Mexico le 13 janvier prochain. «Nous consommons environ 2 kWh par tour et 1,2 kWh provient de la batterie. Cela veut dire concrètement que nous devons produire 40 % d’énergie pour boucler le tour», explique Thomas Chevaucher, le directeur du programme Formula E au sein de Stellantis. L’énergie manquante est récupérée au freinage. Depuis la première génération apparue en 2014, la régénération n’a pas cessé de progresser, passant de 15 % à 30 % puis à 40 %. Dans le même temps, la capacité de la batterie a été réduite, de 52 kWh pour la Gen2 à 38,5 kWh pour la Gen3 introduite l’an dernier. Si la propulsion ne repose que sur le moteur électrique de 350 kW placé à l’arrière, la régénération peut aussi compter sur la machine de 250 kW installée à l’avant. Avec 600 kW, la capacité de régénération de la Gen2 a été doublée. Résultat : la puissance de freinage est vraiment inouïe. Tout le jeu en course consiste à choisir les endroits où les pilotes vont récupérer l’énergie leur permettant de boucler chaque tour.
Un monde difficile à apprivoiser
En amont de chaque épreuve, les séances dans le simulateur aident à balayer toutes les stratégies et à valider celles qui assurent la meilleure efficacité énergétique dont dépendent le logiciel qui gère le freinage régénératif, l’onduleur et la batterie. Le spectateur ne peut donc pas soupçonner le niveau de complexité de pilotage de ces monoplaces car dans le même temps, les pilotes n’ont pas le droit à l’erreur sur les tracés urbains qu’emprunte le championnat. Le moindre écart de trajectoire se paie cash. Or, la Gen3 est loin d’être évidente à apprivoiser. Les pneumatiques n’ont pas beaucoup de grip et il est difficile de les monter en température. De même, en fonction du réglage du différentiel choisi, figé pour deux ans, l’agilité varie. DS paie d’avoir un fait un choix conservateur qui n’aide pas à faire pivoter l’arrière. Négocier les virages serrés, nombreux en ville, est un calvaire. L’exiguïté de l’habitacle ne permet pas de déployer ses coudes. Ajoutez une pédale de freins à la course courte et aussi dure qu’un bout de bois ainsi qu’une direction sans assistance et des accélérations foudroyantes – les 100 km/h en 2,4 secondes et une vitesse de pointe de 280 km/h – et vous aurez une idée de la séance de torture qu’impose une course de 45 minutes. À partir de 200 kW (272 ch) de puissance, la course de l’accélérateur s’allonge et il faut s’y accoutumer. Avec un poids qui n’excède pas 850 kilos, l’accélération est franche et vigoureuse. Avec 300 kW (408 ch) sous les ordres du pied droit, la puissance autorisée en course, le pilote littéralement comprimé par le harnais s’accroche au volant. À l’approche des virages, l’absence de rapports sur la transmission déstabilise. Le freinage régénératif, plus ou moins puissant en fonction du réglage, fait office de frein moteur.
L’expérience acquise par DS mais aussi par les autres constructeurs engagés en Formula E – Cupra, Jaguar, Mahindra, Maserati, Nissan, Porsche – participe directement à l’amélioration de la voiture de série. «Cette discipline permet de défricher le terrain pour la série que ce soit en matière de définition des plages idéales de température de fonctionnement, de développement des algorithmes des logiciels destinés à la gestion de la régénération, mais également de construction des cellules de batterie. Avec ce travail mené, nous avons cinq à dix ans d’avance sur la série», assure Thomas Chevaucher. Ces éléments intégrés, on ne regarde plus la Formula E de la même manière.