Courses d’endurance, performances de vitesse, tournages à haut risque, amitiés avec les meilleurs pilotes…Chaque jour, «Le Figaro» vous raconte la passion dévorante de l’acteur hollywoodien pour les motos et les automobiles sportives de son époque.
C’est l’archétype des courses-pousuites du cinéma moderne. Un modèle indépassable. La légendaire séquence de Bullitt résonne toujours comme l’ancêtre vrombissant qui donne le la à tous les réalisateurs d’action hollywoodiens, de la saga des James Bond à celle de Mission: Impossible , en passant par Fast and Furious .
Cet été, cela fait cinquante-cinq ans exactement qu’aura rugi le moteur de la Ford Mustang V8 GT 390 Fastback «Highland Green» conduite par Steve McQueen, dans les rues de San Francisco. Le réalisateur s’appelle Peter Yates (1929- 2011). Cet Anglais derrière la caméra a été choisi par McQueen parce qu’il vient de sortir Trois milliards d’un coup (1967), un formidable film de braquage contant de manière nerveuse et dynamique le fameux hold-up du train postal Glasgow-Londres.
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La star de La Grande Évasion, devenu lui-même producteur via sa société Solar Productions, lui demande de mettre en scène l’adaptation d’un roman noir intitulé Mute Witness, écrit en 1963 par Robert L. Pike. Grâce à Yates, Bullitt devient un très grand succès du polar d’action américain. Mais si le film est resté dans l’histoire du septième art, c’est surtout parce qu’il met en scène un incroyable «car chase» à vitesse réelle. Avant le nouveau long-métrage de McQueen, les poursuites hollywoodiennes en voiture étaient majoritairement filmées en studio sur fond vert, comme dans les films d’Hitchcock ou le premier James Bond de Terence Young avec Sean Connery.
Dans Bullitt , tout est vraisemblable. Tout est intentionnel, calculé. Bref, tout est risqué. Des regards jetés dans le rétroviseur jusqu’aux enjoliveurs qui volent sur la chaussée, en passant par la gomme qui fume dans les virages serrés ou les pointes de vitesse… Alors que la partition jazzy de Lalo Schifrin (le compositeur du générique de Mission: Impossible ) rythme le film, soudain, elle s’efface lorsque s’engage la course-poursuite. Les bruits de la rue dominent soudain la séquence. Les protagonistes se toisent silencieusement. Inconsciemment, le spectateur retient son souffle. La tension s’installe.
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En flic incorruptible, Steve McQueen se met au volant de sa Ford Mustang Fastback V8 GT 390. Frank Bullitt va jouer un tour pendable aux truands de l’organisation qui pensent le filer discrètement. Dans cette scène, la star veut frapper un grand coup. Avec Peter Yates, il conçoit méthodiquement cette séquence d’anthologie de presque dix minutes (9 minutes 42 secondes pour être précis), pied au plancher, sans le moindre dialogue.
Plus de 200 km/h
Si cette course-poursuite est une réussite, ce n’est pas seulement à cause des images qui opposent la Mustang verte de McQueen à la Dodge Charger noire bondissant dans les rues de San Francisco. Le secret de la scène, intelligemment filmée, se résume surtout à un duel entre deux ronronnements de moteurs: d’un côté, la nerveuse et sourde boîte de vitesses manuelle de la Mustang (rare aux États-Unis à l’époque), de l’autre, la transmission automatique plus suave de la Dodge… le crissement des pneus en prime à chaque virage serré.
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Yates exige avant tout de pouvoir tourner le film en décors naturels. Habitué des destriers à grosse cylindrée, Steve McQueen veut quant à lui piloter à tout prix les voitures. Certaines séquences sont tournées à plus de 200 km/h. Yates avouera plus tard: «Nous avons tourné la scène de la poursuite à la fin du tournage, parce que Steve voulait conduire lui-même.» La raison en est simple: si jamais McQueen avait eu le moindre accident, le réalisateur n’aurait pas pu terminer le film. Ce qui était impossible, étant donné les enjeux financiers.
De nombreux pontes de Hollywood ne comprennent pas pourquoi McQueen prend de tels risques pour une simple séquence. Véritable centaure mécanique dans l’âme, l’intéressé répond: «Les gens en ont marre du chiqué! Je voulais faire un film qui soit valable. Je le voulais vraiment. Et je savais que ça ne marcherait jamais à la manière des studios.»
Pour Yates, «l’action doit être chorégraphiée». Il faut dire qu’à San Francisco, certaines descentes vertigineuses affichent des plans inclinés spectaculaires. L’idée de filmer une vraie course-poursuite à vitesse normale 24 images/seconde naît un soir dans un restaurant italien à Hollywood, le Martoni’s. Mis à part le visage de l’acteur saisi en gros plan et sa voiture filmée sous toutes les coutures, l’autre star du film sera une caméra portative fabriquée durant la Seconde Guerre mondiale, la Aeroflex 2C. Le tournage de la séquence prendra trois semaines.
McQueen a son idée. Il engage Max Balchowsky, mécanicien à tout faire, qui renforce très sérieusement les suspensions des «muscle cars» du film. À cette vitesse, aucune automobile n’est normalement conçue pour faire de tels sauts de cabri. Pat Hustis est également engagé par la production. Il est chargé de construire une voiture basse, un «véhicule d’inserts » qui filme la poursuite à hauteur du visage des acteurs. Ce qui a également pour effet d’accélérer la vitesse de défilement du paysage. Quatre Ford Mustang identiques sont utilisées pour la poursuite. Et quatre cascadeurs également… L’une des voitures explosera même en vol, alors que l’acteur star est en train de la piloter. «Quand je me suis arrêté, avait raconté McQueen, j’ai senti la Mustang se briser autour de moi. Elle s’est littéralement affaissée. J’ai ouvert la portière, et elle est tombée par terre. Puis ce fut un enjoliveur, un phare, et ainsi de suite. Je me serais cru dans une séquence tirée des Keystone Cops!»
Pilote talentueux
Le maire, Joseph L. Alioto, accepte que le tournage ait lieu en ville. Pour le remercier, Steve McQueen offrira une piscine de 25.000 dollars installée dans les quartiers défavorisés. En revanche, entre les dirigeants de Ford et Steve McQueen, les relations ne furent pas aussi bonnes. Acteur et producteur du film, la star du box-office sait qu’elle va utiliser une Ford Mustang à l’écran. Deux bolides haut de gamme sont commandés fin 1967. La première doit encaisser les cascades du film. La deuxième n’aura qu’à soutenir les «chevauchées tranquilles» du héros. McQueen sollicite le soutien financier de Ford. Sans prendre la mesure du coup de publicité que leur offre l’acteur-producteur, le constructeur refuse d’offrir ses voitures.
Vexé, McQueen prend la décision de faire retirer le célèbre logo du cheval au galop, emblème caractéristique de la Ford, sur la calandre des quatre véhicules utilisés. Pourtant, le succès du film sera si grand qu’il va immortaliser la Ford Mustang «vert wagon», qui en devient rapidement l’héroïne incontournable.
Avec Bullitt, Steve McQueen a définitivement gagné ses galons de pilote talentueux.
Ford Mustang GT 390 Fastback: l’emblème de la «muscle car»
Ce n’est pas un hasard si Steve McQueen roule en Ford Mustang dans Bullitt . Ce coupé sportif, dont le nom renvoie à un cheval des Apaches reconnu pour sa puissance et sa rapidité, devient dès sa présentation le 17 avril 1964, dans le cadre de la foire de New York, la coqueluche des Américains. La publication d’un encart publicitaire dans 2600 journaux déclenche une hystérie collective et une véritable Mustang-mania. Jamais une voiture ne s’est vendue à plus de 417.000 unités la première année de production. Il faut dire que la Mustang a tapé dans le mille, malgré une finition un peu plastique. Ford a conçu une voiture de sport 4 places, bon marché (2 500 dollars) et bourré de tempérament. Pour à peine 10 dollars de plus que la Volkswagen Coccinelle, les automobilistes disposent d’un véhicule équipé d’un six-cylindres 2,8 litres délivrant 101 ch. En option, il est aussi possible d’accéder à un V8 de 260 ci (4,2 l) ou carrément le 289 (4,7 l) monté dans l’AC Cobra.
Ce n’est que le début de la course à la performance. Pour le millésime 1968, la Mustang prend du muscle avec la GT 390 à carrosserie vert «highland». Les sourcils se froncent ; les formes se virilisent ; le V8 porté à 6,4 litres affiche une puissance de 320 ch. La GT 390 Fastback est devenue l’une des Mustang les plus recherchées.
En 2020, l’une des voitures du film s’est vendue 3,74 millions de dollars aux enchères, soit plus de cinquante-trois fois sa cote.